Quand on pense bilan carbone, on pense souvent aux flux physiques qui structurent l’activité économique des entreprises. On pense aux émissions produites par la fabrication des biens, à l’essence qu’on injecte dans les voitures de fonction, à l’énergie consommée pour éclairer et chauffer nos bureaux. Mais toutes ces activités n'existent que sous le contrôle de leurs investisseurs et financeurs : l'argent a un impact environnemental et social bien souvent négligé. Il est donc primordial de quantifier l'empreinte indirecte de tout financement pour élaborer des trajectoires de décarbonation réalistes et exactes des activités financières. En effet, si le secteur financier est le secteur d’activité le moins polluant quand on prend en compte les émissions de scope 1 et 2, il devient de loin, en tenant compte des émissions dites financées, le secteur d’activité le plus émetteur de gaz à effet de serre (GES). Malgré cela, il n’existe pas encore de méthodologie de référence pour comptabiliser les émissions financées et il peut être très difficile pour les fonds d’investissement de déterminer l’empreinte carbone de leurs portefeuilles.
Pourquoi et comment considérer les émissions financées ?
Selon le Guide sectoriel “Finance” de l’Association Bilan Carbone, les émissions financées représentent l’ensemble des émissions qui sont induites par la détention d’un actif financier. Tout financeur a en effet une responsabilité dans les émissions de GES des activités économiques qui se développent grâce à son soutien. Prendre en compte les émissions financées dans les calculs de bilan carbone des fonds d’investissement et des détenteurs d’actifs financiers permet (1) de responsabiliser ces acteurs sur la responsabilité qu’a leur activité sur le climat et (2) d’encourager une réorientation vers des financements plus responsables. Une méthodologie précise et harmonisée pour le calcul de ces émissions est donc nécessaire pour comparer et comprendre l'impact d'un portefeuille d'investissement.
Il existe deux types d’approches (détaillées ensuite) qui permettent de prendre en compte les émissions financées.
L’approche micro-économique ou méthodologie bottom-up consiste à estimer les émissions qui vont être engendrées par un projet à partir de données publiques, d’entreprises du même secteur ou de projets passés.
L’approche macro-économique ou méthodologie top-down consiste à calculer les émissions financées d’un acteur financier important en comparant la part de son investissement dans un secteur d’activité donné et dans une zone géographique donnée aux émissions totales de GES de ce secteur et de cette zone géographique.
D’un côté, l’approche micro-économique est plus adaptée dans le cadre de l’estimation des émissions des projets d’investissement précis et délimités. De l’autre, l’approche macro-économique quant à elle est plus adaptée à d’importantes structures financières, privées ou publiques, qui investissent de manière conséquente dans divers secteurs d’activité.
L’approche micro-économique ou méthodologie “bottom-up” :
Une méthodologie bottom-up cherche à estimer de manière exacte les émissions induites par le financement d’un actif financier. Pour ce faire, il est nécessaire de calculer l’ensemble des émissions de GES qu'émet l’activité du projet financé et de comparer ces émissions à un scénario de référence où le projet ne verrait pas le jour. Cette méthode permet donc de se rendre compte de l’impact climatique induit par la réalisation d’un projet, qu’il soit négatif avec des émissions de GES ou positif avec des économies de carbone.
Théoriquement, cette approche permet de manière très précise de quantifier les émissions d’un portefeuille d’actifs financiers et octroie donc la possibilité aux fonds d’investissement de mieux piloter leur stratégie. Malheureusement, elle se heurte aussi à plusieurs obstacles et difficultés méthodologiques. Par exemple en 2014, à l’occasion d’une enquête interne, le groupe Mirova réfléchit à l’intégration d’une méthodologie bottom-up dans son processus d’évaluation des actifs financiers. Le compte rendu de cette réflexion a souligné quelques principales difficultés, comme la question de l’allocation des impacts sur la chaîne de valeur qui se révèle parfois très difficile. En effet, à quoi faut-il par exemple attribuer l’impact de l’usage d’une voiture ? Au particulier qui l’utilise ou au concessionnaire qui l’a fabriquée ?
Même si aucune méthodologie bottom-up ne fait encore consensus et qu’il est toujours possible de trouver des biais dans toutes les méthodes déjà existantes, certaines d'entre elles proposent des réflexions intéressantes. Trucost est certainement l’institution qui est la plus reconnue à l’international en matière de calcul d’empreinte carbone pour les entreprises. À l’aide d’une base de données très étoffée, Trucost propose une approche pertinente pour analyser l’impact d’un portefeuille d’actif, en croisant une méthodologie bottom-up par actif avec des données issues de l’analyse de cycle de vie (plus d’informations dans notre article Bilan Carbone). L’impact net (positif ou négatif) des projets financés par le portefeuille lui est ensuite alloué en fonction du montant investi par l’organisme étudié.
L’approche macro-économique ou méthodologie top-down :
La méthodologie top-down consiste à attribuer des émissions de GES à des acteurs financiers importants en fonction de la part de leur investissement par rapport à une décomposition sectorielle et géographique retenue. Cette approche est plus globale et donc moins précise que l’approche micro-économique car elle considère un secteur d’activité dans son ensemble sans faire la distinction entre les projets qui sont financés ou non par l’acteur financier considéré. De la même manière, il n’existe pas de méthode unique mais bien une multitude d’acteurs qui s’essaient à la comptabilisation des émissions financées grâce à la méthodologie top-down.
Par exemple, la méthode P9XCA développé par le Crédit Agricole propose une manière de quantifier l’ordre de grandeur des émissions de GES d’un acteur financier grâce à cette formule :
La méthode consiste ainsi à additionner la part des émissions dont l’acteur financier est responsable dans tous les secteurs et toutes les zones géographiques concernées par le portefeuille. Attention, cette méthode comptabilise uniquement les investissements qui financent des activités directement émettrices de GES et ne prend pas en compte les échanges financiers entre acteurs financiers (produit de couverture, SWAP…). Cette méthode est pertinente car facile à utiliser pour des acteurs de taille importante et elle permet de donner des ordres de grandeur sur les différentes stratégies d’investissement. En revanche, elle manque de précision et ne permet pas de mesurer l’empreinte carbone de différents scénarios d’investissement futurs.
Pour conclure ...
Si plusieurs acteurs financiers se sont essayés au difficile exercice de la comptabilisation de leurs émissions financées, il est clair que les méthodologies employées sont encore trop peu utilisées et insuffisamment harmonisées. Il est urgent que les acteurs financiers se saisissent de cette problématique, préalable indispensable à la composition de portefeuilles véritablement responsables et à l’élaboration de stratégie de financement permettant la décarbonation des économies. Sans cette prise en compte exacte des émissions financées, les institutions financières ne peuvent pas prendre du recul par rapport aux seuls indicateurs de rentabilité et donc faire des choix d’investissement éclairés.
Entracte a été retenu comme expert du Diag Décarbon'Action, vous offrant ainsi la possibilité de bénéficier d'une subvention allant jusqu'à 6 000€ pour réaliser votre bilan de GES.
Sources :
Guide sectoriel de l’ABC, secteur financier (Association Bilan Carbone, 2016)
Trucost (S&P Global, 2023)
Notre politique d’investissement durable (Crédit Agricole, 2023)