Le terme de matérialité a longtemps désigné l’ensemble des indicateurs comptables révélateurs de la santé financière d’une entreprise. L’idée d’une priorisation des enjeux des entreprises a été transposée à la RSE avec les développements successifs du cadre juridique national et européen depuis 2010 et est au cœur du Global Reporting Initiative (GRI), norme internationale de reporting extra-financier.
La matérialité a notamment constitué la pierre angulaire de la NFRD, première directive européenne de reporting extra-financier transposée en France en 2017. Obligeant certaines entreprises à déclarer leur performance extra-financière (DPEF) annuelle, la matérialité a servi à identifier et prioriser les risques les plus significatifs pour elles et leur environnement. La CSRD, nouvelle directive qui découle de la NFRD, renforce les exigences de reporting et élargit le périmètre des entreprises concernées par ce reporting. Elle introduit le principe de double matérialité, qui regroupe la matérialité des enjeux sociaux et environnementaux, éléments de la “matérialité impact”, et élargit la “matérialité financière” aux enjeux de développement durable. Comprendre ce concept de double matérialité permet donc de comprendre les nouveaux prérequis en matière de RSE et les indicateurs qui y sont associés.
Note : L’ensemble des textes explicatifs discutés dans cet article qui, dans le cadre de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), exigent aux entreprises qu'elles établissent leurs rapports en utilisant une double perspective de matérialité conformément aux normes européennes d'information sur le développement durable (European Sustainability Reporting Standards - ESRS) sont publiés sur le site internet de l’EFRAG. L’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group) a été nommé conseiller technique auprès de la Commission européenne pour l'élaboration des projets d'ESRS dans le cadre de la proposition de CSRD.
🌳 Qu’est-ce que la double matérialité ?
La matérialité fait référence à l'importance relative des impacts, risques et opportunités d'enjeux environnementaux, sociaux, de gouvernance et financiers que l’entreprise exerce ou subit.
Dans le cadre du reporting demandé par la CSRD, les entreprises sont donc requises d’évaluer la matérialité des sujets liés à l’ESG dans l’ensemble de sa chaîne de valeur, de les hiérarchiser par ordre de priorité et de les signaler.
Pour définir la matérialité d'une thématique, la CSRD définit des critères sur la matérialité impact ou la matérialité financière ou les deux. Il s’agit de la double matérialité.
La matérialité impact regroupe à la fois les impacts environnementaux et sociaux de l’entreprise. Ils peuvent être positifs ou négatifs, réels ou potentiels.
La matérialité financière concerne les risques et opportunités liés au développement durable à court, moyen ou long terme capables d’affecter les flux de trésorerie, le développement, la performance et la position de l’entreprise et donc sa valeur.
En résumé, selon ce concept, les entreprises doivent analyser à la fois l'impact de la société et de l’environnement sur la performance financière de leur entreprise mais également l'impact de leurs activités sur la société et l'environnement.
Les évaluations de la matérialité d'impact et de la matérialité financière sont liées et les interdépendances entre ces deux dimensions doivent être prises en compte.
✍🏼 Comment procéder à l'évaluation de la double matérialité ?
Pour évaluer ses impacts positifs et négatifs, ses risques et opportunités, trois principes clés sont recommandés :
1. Dialoguer avec les parties prenantes et identifier les canaux de communication
La matérialité est principalement alimentée par le dialogue avec les parties prenantes concernées. Elle peut aussi impliquer les utilisateurs des rapports sur le développement durable et d'autres experts, afin de fournir des informations ou un retour d'information sur ses conclusions concernant ses impacts, risques et opportunités significatifs. Dialoguer avec les parties prenantes qui affectent et peuvent être affectées par l’entreprise est donc essentiel pour identifier et prioriser les impacts, risques et opportunités. L’entreprise doit préciser comment les intérêts et les points de vue des parties prenantes sont pris en compte dans la stratégie et le modèle d'affaires de l’entreprise et par quel moyen. Si des formats de dialogue sont déjà existants, il n’est pas toujours nécessaire d’en créer de nouveaux pour le développement durable.
2. Identifier des thèmes matériels
Lors de son dialogue, l’entreprise doit identifier ses thèmes matériels. Pour cela, la CSRD fournit une liste de questions principales liées au développement durable à aborder par thématique et sous-thématiques sous la forme d’ESRS (European Sustainability Reporting Standards) comme indiquées ci-dessous :
Ces 12 ESRS sont sous-divisés par des exigences de divulgation, (DR, Disclosures requirements). Il existe 82 DR en tout :
Les 12 DR de l'ESRS 2 Information générales sont obligatoires pour toutes les entreprises. Voici trois exemples :
DR BP-1 : Base générale pour la préparation au reporting de durabilité
DR GOV-4 : Déclaration sur la "due diligence"
DR IRO-1 : Description des processus d'identification et d'évaluation des impacts, risques et opportunités significatifs.
Les 9 DR de l’ESRS E1 Changement climatique sont soumis à la charge de la preuve inversée : C’est-à-dire que l'entreprise doit prouver qu'elle n'est pas concernée par ce volet pour ne pas rapporter sur ces DR.
Les 61 autres DR sont reportés en fonction du résultat de l'analyse de double matérialité : C’est grâce à l’analyse de la double matérialité que les entreprises savent ce qu'elles doivent intégrer dans leur rapport de durabilité.
En parallèle, il est recommandé de s’intéresser à la nature et aux secteurs d’activité de l’entreprise, ses relations commerciales, ses zones géographiques ou d'autres facteurs de risque concernés. En effet, des enjeux de durabilité additionnels peuvent être considérés comme matériels par l’entreprise même s’ils ne sont pas inclus dans les ESRS. Par exemple, la norme internationale GRI propose des indicateurs sectoriels pour aider les entreprises à identifier ces derniers.
Enfin, certaines actions mises en place dans le cadre d’une action de développement de développement durable peuvent à leur tour avoir un enjeu matériel à mentionner.
L’ EFRAG travaille aussi actuellement sur des normes spécifiques par secteur, et en a déjà proposé pour les huit suivants :
Transport routier
Alimentation et boissons
Textiles, accessoires, chaussures et bijoux
Pétrole et gaz
Charbon, carrières et mines
Agriculture, élevage et pêche
Véhicules à moteur
Production d'énergie et services publics
3. Définir une méthodologie d’évaluation des impacts, risques et opportunités
Différents critères d’évaluation sont proposés par la CSRD vis-à-vis de la matérialité impact et la matérialité financière.
Concernant la matérialité impact, les critères les plus importants sont :
l’échelle de l’impact : gravité/bénéfice de l'impact sur les personnes ou l'environnement,
la portée de l’impact : étendue des incidences négatives/positives, par exemple périmètre géographique, nombre de personnes ;
le caractère irrémédiable de l'impact : si et dans quelle mesure les impacts négatifs peuvent être corrigés ;
la probabilité de l'impact : probabilité de l’occurrence ou du niveau de certitude que l’impact se matérialise dans la durée.
La matérialité financière pour les rapports sur le développement durable est un élargissement du champ d'application de la matérialité utilisée dans le processus de détermination des informations à inclure dans les états financiers de l'entreprise. L’objectif est d’identifier les risques ou des opportunités qui ont une influence significative (ou sont susceptibles d'avoir une influence significative) sur les flux de trésorerie, le développement, la performance, la position, le coût du capital ou l'accès au financement de l'entreprise à court, moyen et long terme.
Plusieurs méthodologies existent pour classer ses risques et opportunités mais leur matérialité doit être évaluée sur la base d'une combinaison de la probabilité d'occurrence et de l'ampleur des effets financiers potentiels. Notamment, les entreprises peuvent différencier les risques physiques liés aux effets directs du changement climatique (par exemple : dépendance des ressources de l’entreprise, localisation dans une zone à risque inondable, exposition à la sécheresse…) des risques de transition liés à la transition du monde vers un modèle résilient (par exemple : interdiction de l’usage du plastique à usage unique).
Une fois les enjeux matériels évalués selon la méthodologie indiquée et basée sur des critères choisis par l’entreprise, celle-ci doit hiérarchiser et présenter chacun des impacts, risques et opportunités matériels afin de justifier ses priorités et moyens mis en place. Par exemple, la matrice de matérialité est un outil souvent utilisé par les entreprises pour isoler les éléments prioritaires en termes d’impacts environnementaux, sociaux et financiers, comme le montre l’exemple ci-dessous :
Matrice de matérialité de Bouygues, 2019
🌍 Conclusion
La double matérialité des enjeux de développement durable est aujourd’hui au cœur des nouvelles réglementations en termes de reporting ESG. L’identification des sujets matériels ou non de l'entreprise permet à celle-ci de détailler certains enjeux et de justifier leur choix. En effet, le reporting demandé par la CSRD ne s’arrête pas à l’identification des questions matérielles ou non. Une fois l’enjeu considéré comme matériel, l’entreprise doit publier une liste d’informations relatives à cet enjeu, notamment à propos des politiques, actions, ressources, objectifs et mesures d’impact en place associés.
Sources :
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