Les accords de Paris, signés lors de la COP21 de 2015, ont fixé comme objectif de limiter le réchauffement climatique en deçà de 2ºC, aux alentours de 1,5ºC. Pour y parvenir, il est essentiel de réduire les émissions de GES. Donner une valeur monétaire à la pollution pour la limiter est une des méthodes utilisées par l’Union Européenne (UE). Depuis 2005, près de 11 000 entreprises de l’acier, de l’aluminium, du ciment, du verre, de l’énergie et d’autres secteurs industriels qui représentent 40% des émissions européennes sont soumises à un système de “quotas carbone”. Ce dernier leur permet d’acheter le droit d’émettre un certain nombre de tonnes équivalent CO2 chaque année.
Cet article vous explique les principes et mécanismes fondamentaux de ce système, ses limites et avantages, en présentant également les dernières réformes du marché carbone européen, adoptées par le Parlement européen le 18 avril dernier.
I – Mise en place du marché carbone depuis 2005
Aux Etats-Unis, dans les années 1980, un prix a été posé sur les quantités de plomb dans l’essence puis sur les émissions de SO2 des centrales électriques pour réduire l’acidification des pluies. En associant des polluants à un coût, un système efficace et différent de la taxe est donc né. Depuis, il a été intégré au protocole de Kyoto en 1997 et au programme européen sur le changement climatique.
Ce principe a donné naissance au système d’échange de quotas d’émissions (SEQE), ou “Emissions trade scheme” (ETS) en 2005 pour réduire les émissions de CO2 de l’Union Européenne (UE). Régi par une logique de “cap and trade”, il fonctionne de la manière suivante :
Par ce mécanisme, un nouvel arbitrage est créé pour les entreprises couvertes par les permis d’émissions, qui doivent désormais choisir entre réduire leurs émissions de CO2 ou acheter des quotas à un prix. Ce dernier émerge de la rencontre entre la demande de permis des “pollueurs” et l’offre des “responsables”, et est donc plus acceptable qu’une taxe imposée par les autorités publiques.
Comment le marché des quotas carbone de l’EU a-t-il évolué ?
Le marché carbone européen s’est constitué en plusieurs phases avec pour objectif initial de réduire les émissions de GES de 14% entre 2005 et 2020 dans les secteurs de l’industrie et de l’énergie principalement.
La première phase a plafonné le nombre de quotas à 2 300 millions par an entre 2005 et 2007, sans possibilité de mise en réserve, ou “banking” (autrement dit, de garder les quotas non utilisés pour la période suivante).
De 2008 à 2012, ce cap était fixé à 2 100 millions de quotas par an avec la possibilité de “banking”.
De 2013 à 2020, l’objectif de réduction initial de 14% a été renforcé à 21%, et 1 950 millions de quotas ont été alloués, nombre qui a baissé de 1,74% par an pendant la période.
Lors des deux premières phases, 90% à 95% quotas ont été alloués gratuitement aux entreprises (notamment à celles du secteur énergétique). Les émissions excédentaires étaient soumises à des sanctions fiduciaires, avec des amendes de 40€/tCO2e entre 2005 et 2007, puis de 100€/tCO2e lors de la deuxième période. Depuis 2013, ces sanctions sont indexées sur l’inflation.
Récemment, les prix ont augmenté de manière considérable, car la crise financière de 2008 et le nombre élevé de quotas mis à disposition entre 2013 et 2020 ne motivait pas fortement les entreprises à réduire leurs émissions. Les quotas qui n’ont pas été distribués gratuitement par l’UE ont été mis aux enchères pour que les entreprises fixent un prix de marché selon leurs besoins. Par exemple, l’achat de quotas aux enchères à l’UE a donné 5,5 milliards d’euros de recettes en Europe en 2017. Les directives européennes exigent qu’au moins la moitié des recettes des enchères finance des mesures environnementales.
Face à l’augmentation trop rapide de ces prix et de l’incertitude pour les entreprises, le Parlement européen a décidé d’adopter une réforme le 18 avril 2023 visant à stabiliser l’inflation des permis d’émissions.
II – Les points clés de la nouvelle réforme pour 2026-2034
Le 18 avril 2023, le Parlement européen a adopté des textes majeurs du Green Deal qui renforcent l’EU ETS et y introduisent de nouveaux mécanismes à mettre en place progressivement entre 2026 et 2034 pour accélérer la transition écologique de l’Europe. Ils ont pour but de réduire le nombre de quotas gratuits de 2,5% d’ici 2026, de 10% d’ici 2028 et de 48,5% d’ici 2030, pour les supprimer totalement en 2034. Ces nouvelles règles sont les suivantes :
“Taxe carbone” aux frontières : pour l’industrie, les importateurs devront déclarer les émissions de la production des biens importés, et si elles dépassent les standards européens, ils devront acheter des permis d’émission au prix de marché de l’ETS. Cette mesure concerne les secteurs de l’acier, de l’aluminium, du ciment, des engrais et de l’électricité, et a un objectif double : empêcher les délocalisations des industriels européens et inciter les autres pays à développer leur réglementation environnementale.
La couverture de nouveaux secteurs : à partir de 2027, le chauffage des bâtiments et les carburants routiers seront soumis à l’ETS (avec un prix plafonné à 45€/tCO2e jusqu’en 2030), notamment pour les particuliers. Le secteur maritime et l’aviation pour les vols intra-européens sont les autres domaines inédits couverts par les permis, avec l’incinération des déchets dès 2028 sous réserve d’une étude favorable.
La création d’un fonds social pour le climat : un fonds de 86,7 milliards d’euros sera créé en 2026 à partir des recettes des enchères de quotas carbone pour aider les ménages les plus vulnérables et les microentreprises à faire face à ces nouveaux coûts
Cette réforme devrait permettre de réduire le nombre de quotas alloués de 62% entre 2005 et 2030 (objectif revu à la hausse par rapport aux 43% initiaux) et de diminuer les émissions de GES de 57% en 2030 par rapport à 1990.
En conclusion
L’efficacité de ce signal-prix permettant de mettre un coût sur la pollution sans passer par une taxe - inacceptable pour les différents acteurs de l’UE - reste imparfaite mais essentielle pour répondre aux Accords de Paris.
Aujourd’hui, on estime qu’un fabricant de verre en Europe paie 50€ le MWh de gaz et 20€ de quotas correspondant, alors qu’un MWh de biogaz coûte 65€ et n’est pas soumis à l’ETS. Cet exemple montre qu’à un prix assez élevé, les quotas sont une incitation économique utile pour à la fois réduire les émissions de GES et chercher des alternatives de capture de CO2 ou d’énergies décarbonées, permettant ainsi de rediriger les flux financiers vers des projets plus responsables.
Cependant, le risque de contestation sociale et de délocalisation industrielle existe toujours face à une politique aussi ambitieuse. L’ajustement carbone aux frontières ne s’appliquera qu’aux matières premières, et les activités de transformation pourront alors se réaliser dans des pays plus avantageux comme les Etats-Unis d’un point de vue fiscal. Enfin, l’augmentation trop rapide des prix du quota carbone dans les derniers mois est défavorable aux décisions de long terme des entreprises, et l’ambition affichée de l’UE se confronte encore à des incohérences comme le maintien des subventions aux énergies fossiles, par exemple.
L’UE n’est pas la seule région du monde à la mettre en place ce type de politique publique qui a fait ses preuves notamment aux EUA dans les années 1980. La Suisse, la Californie, la Chine ont aussi mis en place des systèmes de quotas similaires avec chacun leurs spécificités comme l’intégrer à d’autres secteurs tel que l’aviation.
Sources :
Réforme du marché carbone européen : le parlement adopte cinq textes clés du Green Deal (Novethic, 2023) ;
Climat : le Parlement européen adopte la réforme du marché carbone pour accélérer la réduction des émissions de gaz à effet de serre (Le Monde, 2023) ;
Climat : les principaux de la réforme européenne du marché carbone (Le Monde, 2023).