En réponse au réchauffement climatique et à la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), la compensation carbone est devenue une action phare pour de nombreuses entreprises au cours des dernières décennies. En effet, l’achat de crédits carbone volontaires est apparu tel la solution miracle pour aider les entreprises - et autres acteurs - à atteindre leurs objectifs climatiques “net zero” dans le cadre des objectifs internationaux.
Cependant, les scandales du début d’année 2023 ont accusé les crédits carbone de participer au greenwashing des entreprises, pratique aujourd’hui condamnée par la loi française. D’un côté les entreprises sont pointées du doigt pour profiter de ce système en communiquant sur leurs baisses d’émissions de GES sans réellement agir sur le climat. De l’autre, les émetteurs de crédits carbone ont été critiqués pour leurs méthodes de calcul peu fiables et finalement éloignées de la réalité des émissions de GES réellement évitées ou séquestrées.
La question se pose : Faut-il bannir les crédits carbone volontaires ? L’émergence d’une nouvelle sémantique, la contribution carbone, et de nouvelles méthodologies proposées aux entreprises rappellent la nécessité de ce marché et son rôle à jouer dans la transition du climat ! Cet article vous détaille les limites et opportunités de la compensation carbone et vous propose une méthodologie adaptée à leur utilisation.
D’où vient la compensation carbone volontaire ?
Les crédits ou certificats carbone émergés de la tendance de la compensation carbone volontaire sont à ne pas confondre avec les quotas carbone imposés aux entreprises les plus émettrices de CO2 dans le cadre du protocole de Kyoto. Alors que dans le dernier cas, des quotas carbone sont attribués aux entreprises et peuvent être revendus sous la forme de crédits carbone sur des marchés carbone réglementés et centralisés, les crédits carbone émis par la compensation sont volontaires, non réglementaires, et non centralisés sur un marché.
Les crédits carbone volontaires sont émis par des projets “positifs” en carbone qui nécessitent des financements et proposent à des entreprises de les financer en échanges de “certifications” valorisant leur action. L’habilité de ces projets à émettre des crédits carbone dépendra de leur capacité à prouver qu’ils séquestrent ou bien qu’ils permettent d’éviter des émissions de GES. D'un côté, les projets autour de la création de forêts, des sols, du biochar, des constructions biosourcées, ou encore de géologie profonde contribuent à séquestrer du carbone. De l'autre, le financement de l’agriculture biologique, des énergies renouvelables, ou la protection des forêts existantes permettent d’éviter du CO2 qui aurait été émis si les crédits carbone n'avaient pas été générés par rapport à une année de référence.
Plusieurs initiatives et programmes de compensation carbone volontaire ont émergé au fil du temps. L'une des premières initiatives majeures dans le domaine de la compensation carbone volontaire était le Mécanisme de développement propre (MDP) établi par le Protocole de Kyoto en 1997. Le MDP permettait aux pays développés de compenser une partie de leurs émissions en finançant des projets de réduction des émissions dans les pays en développement.
Parmi les initiatives les plus connues aujourd’hui figurent le Gold Standard, le Verified Carbon Standard (VCS), le Climate Action Reserve (CAR) ou encore Plan Vivo Foundation. Ces organisations ont développé des normes et des mécanismes permettant de quantifier, vérifier et vendre des crédits volontaires.
Mais pourquoi la compensation carbone a-t-elle baissé en notoriété ? Quelles sont ses limites ?
En janvier dernier, le journal britannique The Guardian, l’hebdomadaire allemand Die Zeit et l’association d’investigation SourceMaterial ont publié une enquête scandaleuse sur les crédits carbone volontaires, témoignant de leur manque de fiabilité et mauvaise utilisation par les entreprises. Le titre affiche : “plus de 90% des compensations de carbone de la forêt tropicale par le plus grand certificateur sont sans valeur, selon une analyse” en parlant de Verra, un des leaders du carbone dans le monde.
Source : L'analyse du Guardian est basée sur un pourcentage important des projets examinés par les études de West et al et le registre de Verra (consulté en août 2022). Tous les chiffres sont des estimations (The Guardian, 2023).
S’en sont suivies d’autres révélations par Cash Investigation et l’ONG Carbon Market Watch qui pointent du doigt Nestlé avec Nespresso notamment. En effet, Nestlé qui affiche une trajectoire “net zéro” et vise une réduction de 20% de ses émissions de GES entre 2018 et 2025 n’aurait réduit que de 1% ses émissions les 5 dernières années.
L’enquête a permis de souligner quelques limites principales de la compensation carbone volontaire :
Il n’est pas prouvé que la totalité des projets financés permettent de réduire les émissions de GES ou même présentent un avantage pour le climat - 94% des projets de Verra sont concernés par cette déclaration.
S’ils ont un impact, de nombreux projets sont surestimés. Concernant les projets permettant d’éviter la déforestation tels que les projets REDD+ (Reducing Emissions from Deforestation and forest Degradation), la menace pour les forêts aurait été surestimée d'environ 400% en moyenne pour les projets de Verra.
Certains projets ont été accusés de ne pas respecter les Droits de l’Homme. Par exemple, des cas d’expulsions forcées et de tensions fortes entre les habitants et les autorités pour permettre la construction des projets ont été filmés.
De nombreuses entreprises “compensent leurs émissions de CO2” et annoncent des stratégies “net zéro” sans même tenter de réduire leurs propres émissions. Or, la compensation carbone est un outil pour aider les entreprises dans leur transition, afin qu’elle puisse compenser une partie de leurs émissions qu’elles ne peuvent pas réduire dans l’immédiat.
En général, les enquêtes du début d’année ont pu révéler les limites de certains de ces projets mais surtout de mettre en lumière la manière dont les entreprises - consciemment ou non - pouvaient en faire une mauvaise utilisation et/ou communication. Alors que certaines entreprises pensaient bien faire et sont victimes d’une incompréhension d’un secteur en vogue, d’autres sont accusées d’utiliser ces crédits carbone en outil de diversion par rapport aux efforts qu’elles doivent faire en priorité.
Faut-il bannir la compensation carbone ou bien simplement apprendre à l’utiliser ?
La compensation carbone est mentionnée dans la nouvelle directive européenne, la CSRD, et l’achat de crédits carbone volontaires restent d’importants objectifs pour les trajectoires reportées par les entreprises avec SBTI, le CDP ou encore dans les labels tels que B-Corp.
Ainsi, de nombreux acteurs défendent encore la compensation. Pour comprendre ses bienfaits, il faut tout d’abord commencer par la renommer “contribution carbone” - expression plus adaptée à l’évolution actuelle du marché. En effet, le terme contribution carbone permet de remettre au centre le projet et non l’entreprise qui va alors soutenir des projets pour lesquels les crédits carbone sont essentiels à leur développement et pérennité.
En parallèle, il faut revoir le cadre dans lequel les entreprises sont amenées à soutenir des projets. Selon la CSRD, l’entreprise doit acheter des crédits carbone de haute qualité afin de compenser uniquement les émissions qu’elle ne peut pas réduire ou bien qui nécessitent une réduction sur le long-terme. Par conséquent, toute “compensation carbone” qui sera réalisée sur des émissions de CO2 que l’entreprise aurait pu réduire seront qualifiés de greenwashing.
Vers un marché du carbone volontaire plus vertueux
Pour aider les entreprises à contribuer de manière éthique et efficace, plusieurs acteurs ont défini des règles d’or, des principes ou des méthodologies à suivre. C’est le cas de l’ADEME qui préconise 5 bonnes pratiques, des 10 principes du Integrity Council, ou encore du plan pour les actions des entreprises publié en 2020 par WWF et le Boston Consulting Group (BCG). Inspiré de ce dernier rapport, l’entreprise Sweep propose une méthodologie en 3 étapes pour permettre aux entreprises de faire des crédits carbone volontaire un réel avantage compétitif et un outil essentiel de la lutte contre le changement climatique.
Ce changement de paradigme vis-à-vis des crédits carbones incitent les entreprises à repenser la manière dont elles espèrent atteindre la neutralité carbone (par réduction des émissions ou financement de projets). Les entreprises sont donc invitées à :
1. Mettre en place un marché interne du carbone
Cette première étape est cruciale. Elle permet de lutter contre la baisse des prix des projets carbone et de favoriser l’émergence de projets de haute qualité. En effet, les entreprises sont invitées à définir un budget carbone à allouer à des projets - même si le budget ne permet pas de compenser 100% des émissions de l’entreprise, il pourront justifier d’un réel impact qui peut éventuellement dépasser le carbone et créer de multiples bénéfices.
2. Financer des projets en cohérence avec avec votre entreprise
Allouez les fonds récoltés de manière stratégique pour un meilleur impact, une plus grande cohérence et un meilleur engagement au sein de l'entreprise. Par conséquent, ces fonds dédiés à des projets de neutralité carbone peuvent être soit pour des projets de réduction des émissions en interne ou auprès de parties prenantes, ou bien pour le financement de projets externes. Cette étape est clé pour impliquer les parties prenantes dans la démarche de neutralité carbone et permet à l’entreprise de prendre le contrôle sur son budget plutôt que financer un certain nombre de crédits carbone dont elle ne contrôle pas le prix.
3. Soutenez des projets répondant aux enjeux locaux
En effet, plus les projets sont cohérents avec la stratégie de l’entreprise, plus l’impact sera pertinent. Il est recommandé aux entreprises de soutenir des projets qui ont lieu dans le pays où leurs opérations ont le plus d’impacts, ou bien là où l'entreprise regroupe les plus de collaborateurs. Cela permet une plus grande proximité avec les projets et de favoriser l’engagement de l’entreprise vers une réduction de son impact environnemental. De plus, cela permet à l’entreprise de favoriser des projets pertinents avec son économie locale et par rapport à ses propres activités. Par exemple, le soutien à la transition agricole peut sembler prioritaire en France alors que la protection des forêts est vital au Cambodge.
Source : Répartition des crédits carbone échangés sur le marché volontaire par typologie de projet (Carbone4, 2023).
Conclusion
La mauvaise presse du marché volontaire du carbone ne concerne finalement qu’une partie des entreprises et des émetteurs de crédits. Il faut donc redéfinir leur raison d’être initiale pour comprendre leur rôle vital à jouer dans la neutralité carbone mondiale.
D’un côté, de nombreux projets favorables à la transition durable tels que les projets de transition agricole, d’énergies renouvelables ou encore protection des forêts tropicales, dépendent des financements émis grâce aux crédits carbone volontaires. De l’autre, la compensation reste la meilleure alternative pour accompagner les entreprises vers la neutralité carbone. Alors que la compensation ne devrait pas être une solution en soit, les entreprises doivent avant tout réduire leurs émissions de GES, l’achat de crédits carbone reste la clé pour compenser provisoirement les émissions qui sont réductibles sur le plus long-terme ou bien celles qui ne le sont pas.
Le scandale de janvier 2023 a permis de mettre en lumière les limites du marché volontaire du carbone et de mettre un terme à certains excès. Plus positivement, cela a aussi permis aux entreprises de se questionner sur leur utilisation de tels crédits. Les cadres méthodologiques recommandés par WWF, le BCG et SWEEP sont des réels avancées pour le secteur, permettant un développement durable et une utilisation juste des crédits carbone par les entreprises et par les projets émetteurs. Enfin, la loi contre l’éco-blanchiment dans les publicités joue un rôle décisif dans la reconstruction du marché, permettant enfin d’encadrer la communication trompeuse de certaines entreprises.
Ressources :
La lutte contre l’éco-blanchiment dans les publicité (Gouvernement, 2023)
Pour un climat vivable : les engagements en faveur du zéro émission nette doivent être étayés par des mesures crédibles (Nations Unies, 2022)
Crédit Carbone : Définition et Fonctionnement (Sami, 2023)
Au sujet du scandal de janvier dernier :
Revealed: more than 90% of rainforest carbon offsets by biggest certifier are worthless, analysis shows (The Guardian, 2023)
Le marché des compensations carbone est un “scandale climatique” (Courrier International, 2023)
Est-il vrai que 90% des crédits carbone ne valent rien ? (Carbone4, 2023)
Après les enquêtes du Guardian et de Cash Investigation, voilà pourquoi il ne faut pas (encore) tuer les crédits carbone (Novethic, 2018)
Notre feuille de route zéro émissions nettes (Nestlé, 2018)
Les guides pratiques pour une compensation carbone plus juste :
5 règles de bonnes pratiques préconisées par l’ADEME (ADEME, 2019)
Beyond Science-Based Targets: A Blueprint For Corporate Action On Climate And Nature (WWF & Boston Consulting Group (BCG), 2020)
Core Carbon Principles (The Integrity Council For The Voluntary Carbon Market, 2022)
De la compensation à la contribution : comment faire des crédits carbone un avantage compétitif pour votre stratégie climatique (SWEEP, 2023)
Liste de labels ou organismes émetteurs de crédits carbone :